16 avril 1972, décès du 1er prix Nobel de littérature japonais
La mort de Yasunari Kawabata, auteur des Belles endormies
Né le 14 juin 1899, à la fin de l'ère Meiji (1868-1912), l'auteur des Belles endormies, bien que réprouvant l'acte en lui-même, se suicidera le 16 avril 1972 alors que sa santé est devenue fort précaire et après avoir produit de courtes nouvelles, des romans fins et subtiles, où la beauté des lieux fait écho à celle des protagoniste, et qui associe souvent cette notion du "beau" à celle de la souffrance ou d'une certaine mélancolie. Il ne donnera pas d'explication à son geste et ne laissera aucun testament.
Les textes de Kawabata, qu'il s'agisse de nouvelles ou de romans courts, caractéristiques de son oeuvre, chantent à l'oreille du lecteur comme un paradoxe, une musique où la délicatesse chemine avec la force, un trait qui ne se retrouve que chez quelques auteurs, dans de trop rares ouvrages - comme Oreiller d'herbes, de Natsume Sosêki, ou dans l'oeuvre de Kafû, lui aussi nouvelliste. Kawabata et Kafû sont d'ailleurs nommés membres de l'Académie des Arts en même temps. Kawabata, Sosêki, Kafû (Kawabata, ces auteurs sont tous trois profondément marqués par une époque où le Japon passe avec une rapidité fulgurante d'un monde de traditions féodales à celui de l'industrialisation forcenée, de la production à grande échelle, qui marque l'après-guerre.
Au centre d'un Japon encore emprunt de féodalité, en pleine industrialisation
Cette ère Meiji, autrement appelée ère du Monde flottant tant elle est attachée à un changement de la société japonaise dans tous ses fondements, à l'ébranlement d'une nation - changement propre à égarer un peuple qui sera autant retenu par le passé que poussés vers l'avenir - sera le terreau d'une littérature elle aussi faite d'images flottantes, de protagonistes peinant à trouver leurs marques. Le Japon, détruit, se reconstruira dans la modernité, à contre-courant de sa philosophie-même et de tout son héritage culturel. Les ouvrages de Kawabata se lisent souvent d'une traite, non qu'ils regorgent d'intrigues et d'aventures palpitantes, mais bien parce qu'ils exercent sur tout lecteur orientaliste une fascination certaine. L'on s'attache à ses protagonistes non pour leurs qualités mais pour leurs défauts, qui sont souvent ceux des faibles, des héros trahis par un manque de volonté patent tant ils sont absorbés tout entiers par la quête du beau, la fascination pour la mort.
Son oeuvre, chantent à l'oreille du lecteur comme un paradoxe, une musique où la délicatesse chemine avec la force
Pays de neige (1935-1947), Le Grondement de la montagne (1954), sonneront comme préludes aux Belles Endormies (1960-1961), roman à la fois paroxytique et figé, où l'art de l'auteur atteindra son sommet. Car il n'est point besoin de fioriture stylistique autour d'un tel ouvrage, où la situation initiale (des hommes âgés qui parviennent à satiété sensuelle en observant de très jeunes femmes dans leur sommeil), suffit à produire un grand roman. Y ajouter plus de forme aurait confiné, pour l'auteur, à trahir son style propre.
Il entretiendra, sur plus de la moitié de sa vie, une correspondance ambigüe et soutenue avec Mishima. Correspondance qui traduit tous les affres de ces deux auteurs, dont le premier, Kawabata, s'inscrit délibérément à contre courant d'une époque ayant épousé trop tôt les formes d'un certain jeunisme, en conservant, dans son oeuvre, une "délicatesse d'estampe" qu'il conférera à tous ses écrits, délicatesse qui fera de ses récits des tableaux n'esquissant qu'à traits subtiles des moeurs mises à mal par ce passage des traditions au modernisme. Et dont le second, résolument tourné vers la modernité, par les moeurs qu'il emprunte lui-même, verra toute son âme mise à mal par ces traditions cohabitant souvent maladroitement avec de nouvelles manières de faire, de penser et d'agir, propres à opposer les catégories les plus âgées de la population, qui étaient aussi les classes dirigeantes, au reste du Japon.
Kawabata sera le premier écrivain japonais à recevoir le prix Nobel de littérature, le 19 octobre 1968.