Minimalisme offensif
Korvin vs Orsenna
Dans le manifeste consacré à la question de la réforme de la langue française J'abuse, l''écrivain et linguiste Mickael Korvin [2], fondateur du Korvinisme, un mouvement qui milite pour l'abolition des accents, de la ponctuation et des majuscules, multiplie les arguments en faveur d'une refonte profonde de notre langue. Pour cet ancien journaliste, "une réforme ambitieuse de la langue française est nécessaire à sa survie" [3]. Pour Orsena, il s'agit avant tout de préserver la finesse, la nuance et la saveur de la langue.
Korvinisme : un mouvement pour l'abolition de la ponctuation
Celui qui publie son "Journal d'une cause perdue [4]" début 2012, ouvrage qui lance son mouvement, le mettra en suite en lumière par la provocation ; il prend directement à parti, dans une vidéo mise en ligne en mars 2012 [5] où il apparaît au côté du rappeur Morsay [6], le romancier et académicien français Erik Orsenna [7], qui s'entend quant à lui depuis 2001, à défendre la grammaire française dans tous ses aspects et dans toutes ses nuances avec la publication d'un triptyque de romans (La Grammaire est une chanson douce - 2001, Les Chevaliers du Subjonctif - 2003, La Révolte des accents - 2007). Les deux auteurs semblent en effet engagés dans une démarche totalement opposée. Tandis que l'un vise à préserver la langue en la maintenant dans une forme qui lui semble pleine de subtilité et de possibilités (utilité du subjonctif, importance des accents, nuances imprimées par la ponctuation...), l'autre vise à préserver la langue en la soustrayant à un destin de "patois local", une sorte d'expression alourdie par la multiplication d'ornements en passe de désuétude (accents, ponctuation, majuscules), et dont il serait absurde de continuer à s'embarrasser.
l anti virgulisme le pro minusculement ou l auto accentuation ne signifient pas forcement le chaos grammatical pas du tout
toute phrase ecrite a besoin de sa part d anarchie sa part de reve c est en introduisant un certain effort d anomalies qu une effevescence peut se produire
La provocation comme électrochoc utile : de quoi rouvrir le débat
La démarche de Korvin paraît cependant relever plus d'une volonté de mettre en lumière son ouvrage et le mouvement qu'il impulse que de s'engager dans un débat construit ; il pousse la provocation jusqu'à menacer Orsenna de le violer, et dont il clame qu'il est un "dictateur de la grammaire". Mais la provocation ne semble pas gratuite ; en tout cas induit-elle des effets parmi lesquels un certain remue-ménage médiatique autour de l'évolution de la langue, débat qui peut s'appuyer pour la première fois sur l'apport du langage "électronique" ; SMS, MMS, MP (messages privés) sont en passe de rassembler la majeure partie des échanges tandis que le courrier postal devient, en quelque sorte, le média des nostalgiques. L'on envoie des cartes électroniques à Noël, pour les anniversaires et à chaque occasion de la vie quand il y a encore 20 ans l'on se réjouissait de choisir, en kiosque, sa carte de voeux.
Korvin publiera par la suite une série d'articles dans l'Express, sous forme de série d'articles (L'ancien Français serait-il plus moderne que le nôtre ?, Le Français, prisonnier de sa grammaire depuis 500 ans...), où son propos s'étaye et devient plus didactique. Il s'applique à "démontrer qu'une reforme encore plus ambitieuse de la langue française est non seulement dans l'ordre de notre évolution linguistique mais également nécessaire à sa diffusion, et donc à sa survie".
En français, comme en anglais et en irlandais d'ailleurs, non seulement la prononciation a évolué depuis l'instauration des règles d'écriture, mais de plus celles-ci sont devenues anachroniques et peu homogènes. Nos règles grammaticales sont parmi les plus draconiennes de l'Histoire des langues.
Il y revient sur les réformes de fond qui ont été impulsés dans les Etats, les réformes de 1990 et de 2000 adoptées en France apparaissant, en regard, comme de "petits aménagements entre amis", insuffisantes. Selon lui, les freins à une réforme plus vaste et propre à permettre à notre langue de trouver son véritable souffle, repose sur "trois arguments : la supposée inaccessibilité de la littérature classique, la supposée dévalorisation de la langue et de supposées conséquences imprévisibles (oralité progressive de la langue écrite, générations futures déculturées, anarchie grammaticale, etc.)." Le fait que la littérature classique parvienne ainsi à un statut de langue morte ne suffirait pas, selon lui, à la rendre moins accessible. Le premier argument semble constituer un frein majeure. Qui parle encore latin ? Sont-ils encore nombreux, ceux qui aiment à lire l'ancien Français, celui de Pantagruel, Gargantua, Don Quichotte ?, mieux encore, Tristan et Yseult, Roméo et Juliette ? Si le modernisme de ces récits est avéré par la diffusion dont ils ont bénéficié, encore la nécessité, toujours plus grande, d'en adapter chaque dialogue est évidente. Il n'est qu'à voir la dernière adaptation cinématographique de Roméo et Juliette : l'intrigue, intemporelle, l'adaptation romantico-gothique a su séduire la jeunesse tandis que le film n'aurait fait que peu d'entrées si le texte original avait été préservé. Le Français employé dans littérature classique, devenu langue morte, ne finirait-il pas, à l'instar du latin, par n'être pratiqué que par une poignée toujours plus maigre d'érudits, qui arpenteraient des bibliothèques désertées d'un public qui, à avoir adopté un propos appauvri, ne verrait plus de satisfaction à consulter des ouvrages que quelques rares lettrés seraient seuls à pouvoir interpréter.
A l'opposé, la pratique constante d'une langue qui ne s'éloignerait pas des standards classiques permettrait à tout un chacun de les lire et d'en goûter les joies, mais viendrait figer l'expression au point de tuer la langue, le second postulat y coupe court : "le "nouveau français" sera méticuleusement construit par des éminences pour tout gagner sans rien perdre. Plus accessible, moins sévère, il se répandra facilement parmi les milliards de citoyens du monde se sentant une affinité avec notre esprit unique au monde. Cette impulsion redonnera puissance, portée et valeur à notre sphère d'influence linguistique pour la première fois depuis un demi-siècle."
Quant aux "conséquences imprévisibles" d'une réforme défendue par Korvin, "elles sont moins à craindre que les conséquences ô combien prévisibles du statu quo".
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