Arnaque d’éditeur ou naïveté d’auteur ?

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Arnaque d’éditeur ou naïveté d’auteur ?

« Ne constitue pas un contrat d’édition au sens de l’article 132-1, le contrat dit à compte d’auteur », article 132-2 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle. Un contrat à compte d’auteur, mais il n’empêche qu’il s’agit d’un contrat faisant la loi des parties : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ce qui les ont faites » article 1134 alinéa du code civil.

« Pacta sunt servanda » est un concept ancré en matière de conclusion des contrats, qui renvoie au respect dû par les parties contractantes au contrat qui les lie. Les parties doivent se conformer aux stipulations contractuelles contenues dans le document faisant office de loi pour eux, du moment qu’il n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Le contrat à compte d’auteur représente-t-il un danger pour les auteurs ?

Bien que la loi de la propriété intellectuelle, en France, protège les auteurs et leurs droits, les arnaques ne manquent pas dans ce domaine. Une expérience vécue : l’auteur commence par transmettre une œuvre artistique (roman, recueil de poèmes ou nouvelle..), à une maison d’édition pour une première étape consistant en la lecture de l’ouvrage. Après lecture et acceptation par le comité de lecture, un contrat portant les clauses devant régir la relation entre l’auteur et la maison d’édition est établi de manière unilatérale, cela ressemble plus à un contrat d’adhésion qu’à un contrat synallagmatique(1), bien que l’éditeur le nomme contrat à compte d’auteur.

L’auteur doit verser à l’éditeur une rémunération en contrepartie qu'il soit procédé par ce dernier à la diffusion et publication de l’ouvrage. Mais l’auteur reçoit quand même un droit d’auteur sous forme d’un pourcentage déterminé par l’éditeur sur tout exemplaire vendu.

Le livre paraît non sans difficulté, mais l’auteur ne perçoit aucun gain, après de laborieuses tentatives avec l’éditeur, il ignore toujours pourquoi il ne bénéficie pas de ses droits d’auteurs légitimes ?

« L’éditeur est tenu de rendre compte » article 132-13 alinéa 1 du code la propriété intellectuelle. « L’éditeur est tenu de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes » article 132-14 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle. « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » article 111-1 du code de la propriété intellectuelle.

Autant d’articles protecteurs de la propriété intellectuelle, qui n'ont pas empêché certains, mal intentionnés, d’abuser de la confiance des auteurs, particulièrement les novices en la matière. En attendant que cet auteur reçoive sa rémunération et pourquoi pas une réparation du préjudice subi, nous espérons une meilleure couverture pour les auteurs éditant à compte d’auteur.

Par Fatiha Benzebiba

 

(1) Un contrat synallagmatique (du grec synallagma, contrat), ou bilatéral, est une convention par laquelle les deux parties s'engagent réciproquement l'une envers l'autre. Ses dispositions mettent à la charge de chacune des parties ayant des intérêts opposés l'exécution de prestations qu'elles se doivent réciproquement. ; la cause de l'obligation d'un contractant est l'obligation de l'autre, et réciproquement. Ce qui permet de considérer comme nul tout engagement non causé, c’est-à-dire ne possédant pas de justification juridique; comme le contrat nommé vente entre les parties alors qu'il ne prévoit pas de transfert de propriété en échange du versement du prix. A l'opposé, le contrat unilatéral n'engage que l'une des deux parties.
Un contrat synallagmatique imparfait est une convention qui, dans sa première phase, apparaît comme un engagement unilatéral, mais dont l'exécution génère des obligations réciproques. L'échange d'une promesse unilatérale d'achat et d'une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive lorsque les deux promesses réciproques ont le même objet et sont stipulées dans les mêmes termes. (Com. - 22 novembre 2005, BICC n°635 du 1er mars 2006).


En pratique

Publier à compte d'auteur, ça coûte combien ?

Les tarifs pour être publié varient du simple au double. Car côté argent, l'édition à compte d'auteur, c'est le grand flou. a commencer par la "rémunération" de l'auteur, qui en fait consiste en un partage plus ou moins équitable des bénéfices.

Les éditions Baudelaire exigeront que vous fassiez corriger l'ouvrage par leur intermédiaire, soit un coût de 2 euros par page, et que vous financiez la maquette du livre (environ 3500 euros). Les éditions de l'Onde réclament près de 1700 euros pour la fabrication et le tirage de 1500 exemplaires, et facturent les retirages. Les éditions Bénévent réclament quant à elles près de 2700 euros pour 300 exemplaires, les éditions du Panthéon, pour le même nombre d'exemplaires tirés, attendent 1700 euros de la part de l'auteur et offrent des facilités de paiement. Reste à vérifier si l'éditeur assure la promotion de l'ouvrage hors les frontières de son site internet, à l'instar de ll'éditeur lulu.com, qui demande 9 euros par ouvrage. Les éditions Beaurepaire n'assurent pas non plus la promotion et proposent d'éditer votre ouvrage à 100 exemplaires, corrections comprises, pour 1500 euros. Les éditions Bragelonne demandent quant à elles un peu plus de 3000 euros pour 300 exemplaires.


Vécu

Savoir combien d'exemplaires l'éditeur a vendu

Un ami commun me mettait, il y a quelques semaines, en relation avec M., jeune femme à la plume alerte vivant à l'étranger. Un éditeur ayant pignon sur rue, travaillant à compte d'auteur, publiait en 2008 son premier recueil de poésie, qu'il tirait à 300 exemplaires. Au départ, tout paraît idyllique : l'éditeur est reconnu sur la place parisienne, l'auteur est talentueuse, la publication est belle. Qui plus est, le contrat d'édition signé indique que l'ouvrage sera annoncé des médias tel le Magazine Littéraire, à la radio (Europe 1)... ce dès le 200e exemplaire vendu. Rappelons que l'édition à compte d'auteur prévoit que l'auteur paie l'éditeur pour l'impression et la mise en vente de l'ouvrage.

L'éditeur s'engage à adresser à l'auteur, tous les six mois, un récapitulatif des ventes, et les 40% convenus sur sur le montant hors taxe de chaque exemplaire vendu. La publicité que l'éditeur fait de l'ouvrage sur son site est belle, accrocheuse... Oui mais voilà : au bout de 3 ans, l'éditeur n'a toujours rien versé à l'auteur M., qui s'interroge. M. envoie des courriers qui ne reçoivent aucune réponse, les difficultés s'accumulent, dont la première est l'impossibilité de se rendre directement au siège de l'éditeur (rappelons que M. habite à l'étranger). Quand je prends contact avec M., en 2013, je lui propose de faire le lien ; je suis sur place, à quelques kilomètres des bureaux de l'éditeur, que je commence par appeler. L'accueil téléphonique est impeccable, mais les réponses sont floues et je sens bien qu'on m'éconduit de la manière la plus polie.

Ma question est pourtant simple : combien d'exemplaires ont-ils effectivement été vendus ? J'appelle une première fois, l'on m'indique que le système informatique a changé et qu'il n'est pas possible d'avoir une sythèse des ventes sans faire de recherches poussées. Je laisse mon e-mail pour qu'on me transmette l'état des ventes... Une semaine plus tard, toujours rien. Je relance, tombe de nouveau sur une jeune femme polie. Lorsque je lui demande si c'est bien elle qui a répondu à mon dernier appel elle m'indique que non. Curieux, pourtant je reconnais sa voix. Je demande à parler au directeur, dont on m'affirme qu'il n'est pas là mais me recontactera. Je confirme mes coordonnées, une autre semaine s'écoule... Toujours rien.

Après quatre appels à l'éditeur, je ne sais toujours pas combien d'exemplaires ont été vendus

J'appelle de nouveau en me faisant cette fois plus insistante, mentionnant que j'interviens dans le cadre de mes activités syndicales, l'on me répète qu'il n'est pas possible de connaître dans l'instant le nombre d'exemplaires vendus. Le contact ave l'hôtesse d'accueil est long et laborieux. Elle me propose un rendez-vous téléphonique avec le directeur dont elle m'affirme qu'il ne peut prendre mon appel de suite car il est en rendez-vous. Bizarre, j'entends au fond la voix d'un homme qui rouspète en lui donnant des consignes et me paraît bien être le directeur, ou en tout cas avoir toute latitude pour prendre une décision.

La femme me propose de répondre plus tard à ma question, sans préciser quand. J'insiste pour avoir une réponse dans un délai précis :
- Quand pouvez-vous me répondre ?
- Je ne sais pas ce n'est pas si simple... Il faut fouiller dans nos archives...
- Vous ne pouvez pas regarder dans votre ordinateur ?
- Non, c'est compliqué, nous avons changé de système...
- Est-il toujours compliqué d'obtenir un renseignement aussi simple ? Tous vos auteurs ont-ils à réitérer autant de fois leur demande pour connaître le nombre d'exemplaires vendus ?
Si mes questions se font plus précises, les réponses restent, quant à elles, toujours aussi évasives. Finalement l'hôtesse d'accueil me propose un rendez-vous téléphonique avec le directeur et me demande mes coordonnées. J'entends de nouveau l'homme derrière elle.

Elle me renvoie aux échanges par mail pour formuler ma demande et il n'est plus question d'un rendez-vous téléphonique avec le directeur

La femme, au téléphone, me demande si l'auteur m'a mandatée, ou déléguée, pour intervenir en son nom, et me dis de lui faire parvenir une procuration indiquant que M. m'autorise à intervenir en son nom. Elle me renvoie aux échanges par mail pour formuler ma demande et il n'est plus question d'un rendez-vous téléphonique avec le directeur.
Je lui explique que j'interviens dans une optique de médiation, mais que si nous en venons à un tour plus formel, en l'occurence par courrier, M. comme moi-même serions parfaitement disposées à faire tout ça dans les règles, et plus précisément dans un cadre juridique. M. m'avait informée quelques jours plus tôt avoir d'ores et déjà préparé une mise en demeure, et je lui avait indiqué que ma fédération était prête à envoyer, de son côté, un courrier RAR à l'éditeur dilettant. Je rappelais que dans un premier temps, ma tentative était amiable, mais que finalement, s'il n'était pas possible d'obtenir des informations aussi basiques, nous pourrions effectivement intervenir de manière plus "juridique".
L'hôtesse chargée de l'accueil téléphonique me demande de patienter, puis c'est l'homme que j'entendais derrière elle quelques minutes auparavant qui finit par prendre la communication, et se présente comme le directeur.

Il m'explique, de nouveau, qu'il est très compliqué d'obtenir l'état des ventes, car leur système logiciel a changé, et m'indique qu'il faut qu'il se rende aux archives, à une autre adresse. Je lui demande quand est-ce qu'il pourra m'adresser ces éléments, il me répond : vous savez, on a d'autres choses à faire, présentez votre demande par mail, je vous répondrais. Je n'ai pas d'autre choix que de ronger mon frein, et lui adresse, dès le lendemain, l'e-mail attendu, assorti d'une procuration de M. qui m'autorise à conduire la démarche en son nom.

Dix jours se sont écoulés, aucune réponse ne m'a été adressée, ni par mail, ni par téléphone. M. a posté sa mise en demeure. Cela fait maintenant six semaines que nous nous évertuons à obtenir une réponse à la question la plus simple et la plus légitime qui soit dans le cadre des rapports auteur / éditeur : quels sont les chiffres des ventes ? Bref, je rappelle l'éditeur demain, et m'apprête à poster mon courrier RAR.

Par Déborah Eugène


A propos des auteurs
Fatiha Benzebiba est l'auteur du recueil de poèmes Valeurs, édité par les Editions du Panthéon.
Déborah Eugène est fondatrice de la Fnep - Fédération nationale des écrivains publics.

Aux internautes

Avez-vous connu des situations où, édité à compte d'auteur, vous n'avez reçu aucune contrepartie pour la vente de votre ouvrage ?

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