Albert Londres, père du reportage

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Le plus grand des grands reporters

Albert Londres, le reporter des opprimés et des exclus

Le plus grand des grands reporters écrivait la vie des bagnards de Cayenne, de la traite des blanches en Argentine, où des Françaises étaient conduites contre leur gré et prostituées. Il a donné son nom au prix qui récompensait, il y a encore quelques jours, les meilleurs journalistes francophones. Un prix fondé au lendemain de sa mort mystérieuse, et qui existe depuis 80 ans. L'auteur disparaissait dans l'incendie d'un bateau qui le ramenait de la Chine vers la France, à l'âge de 47 ans.

Incendie troublant s'il en est, puisque le journaliste ramenait un reportage qui devait tomber comme une bombe. Il indiquait avoir mis à jour un énorme scandale, un scandale portant sur la drogue, les armes, l'ingérences bolchévique dans les affaires de la Chine. Les feuillets de son reportages brûleront avec lui, mais il aura le temps d'informer ses amis, les Lang-Willar, de la nature exacte de sa découverte. A leur tour, ceux-ci périront mystérieusement, dans un accident d'avion dont on ne sait s'il s'agit d'un coup du sort ou d'un acte prémédité.

Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie, Terre d'ébène (la Traite des Noirs), Albin Michel, 1929

C'est que Albert Londres était avant tout l'auteur de la liberté, de l'intégrité, de la lutte contre l'iniquité et l'injustice. L'homme se battait avec la plume là où d'autres auraient choisi l'épée. Il ira à Cayenne, où sont déportés les bagnards, et où ils y meurent d'épuisement. Il en rapporte La Belle(1), chant des forçats que notre génération a oublié - sauf les afrficionados de Parabellum, qui la reprenait dans son album In vivo veritas. Etonnant qu'un groupe de mouvance punk s'essaye à la chanson qu'un homme de lettre et de dignité rapporta, un siècle auparavant, du fond d'un bagne ? Pas vraiment. Albert Londres, ce n'est pas la littérature figée, ce n'est pas celle des salons, c'est la littérature de celui qui arpente, qui n'hésite pas à poser son cul au sol, au même niveau que celui de son interlocuteur et qui, quand son article est publié, ne "pète pas plus haut que son cul", et dont le cul reste vissé au niveau du sol, celui du peuple, tandis que sa plume s'élève et contribue à forger les droits de l'homme. Albert Londres, c'est celui qui, de sa vie, ne tint jamais en place, sillonant le globe à l'heure où aucun voyage, vu l'inconfort des transports, ne pouvait être d'agrément.

Albert Londres est l'homme des transports, de ceux qui conduisent une catégorie de population vers une autre, moins chanceuse, moins bien lotie, moins blanche (à l'époque, cela avait encore son importance). Albert Londres est l'homme des transports, de ceux qui conduisent un homme vers un autre homme, nonobstant la langue ou la culture.

Le père du reportage tel qu'on le pratique aujourd'hui

Journaliste du quotidien Le Petit Parisien, il amènera le "petit Paris" au Sénégal et au Congo, pour dénoncer les conditions de vie des travailleurs africains affectés à la construction des voies ferrées, à la déforestation... et à la reproduction - à l'époque, l'on oblige les travailleurs noirs à aavoir des enfants afin de ne plus avoir à acheter d'esclaves -, à Buenos Aires pour dénoncer la traite des blanches, en Palestine à l'heure de l'antisémitisme, aux Balkans, où il enquête sur le terrorisme. En France, il dénonce l'internement en asile psychiatrique : "La loi de 1838, en déclarant le psychiatre infaillible et tout-puissant, permet les internements arbitraires et en facilite les tentatives. (...) Sous la loi de 1838, les deux tiers des internés ne sont pas de véritables aliénés. D'êtres inoffensifs, on fait des prisonniers à la peine illimitée."

C'est au lendemain de sa disparition, le 16 mai 1932 dans l'océan indien, à l'âge de 47 ans, que sa fille Florise fonde le prix Albert Londres, qui récompense les meilleurs journalistes francophones depuis près d'un siècle, parmi lesquels  Jacques Zimmerman, Patrick de Saint-Exupéry, Henri Amouroux. Depuis 1985, un prix Albert Londres est décerné chaque année pour le documentaire audiovisuel. Car ce correspondant de guerre de 1914, fils de chaudronnier, petit-fils de colporteur, a posé les bases de la technique du reportage, telle qu'on la pratique et l'enseigne aujourd'hui.


(1)La Belle

Le Loire a quitté La Palice
Maintenant tout est bien fini
On s’en va vers le Maroni
Où les requins font la police
On est sans nom, on n'est plus rien
La loi nous chasse de la ville
On n’est plus qu’un bateau de chiens
Qu’on mène crever dans île
Mais alors apparaît la belle

La faim, la lèpre, le cachot
Le coup de poing des pays chauds
Rien ne sera trop beau pour elle
Pour la liberté. Les requins
Auront notre chair de coquins
Et dans la forêt solennelle
Où la mort sonne à chaque pas
Même lorsque tu ne viens pas
C’est toi qu’on adore, la belle !