03 - Pédagogie de la dictée

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Dictée, des vices et des vertus

Si nous limitons la portée pédagogique de la dictée, nous n'en sommes pas moins convaincus que c'est l'un des exercices et plus complets et ludiques pour assimiler le français écrit. Par la nature même de l'exercice qu'elle propose, elle trouve cependant d'importantes barrières quant à une assimilation pleine de l'orthographe. Elle éveille en effet à la langue, au texte francophone, mais n'intervient que dans une moindre mesure comme outil de remédiation des difficultés en grammaire-orthographe, tandis qu'en tant qu'outil d'évaluation, son utilité est plus avérée. Ainsi, la diversité des erreurs relevées, le fait qu'elles n'appartiennent pas toutes au même champ, l'embarras, pour l'enseignant, de les anticiper au moment de choisir le texte dicté, comme l'embarras qu'il y a à corriger de manière pertinente chacune des fautes de la trentaine d'élèves qui composent sa classe (tâche impossible s'il en est), le traitement collectif que cette impossibilité implique, confèrent à la dictée autant de vices que de vertus.

"De par la place qu'on lui accorde dans les programmes d'éducation et de par les vertus ou les tourments que tour à tour on lui impute, elle devient un symbole de la scolarité et figure à ce titre dans nombre d'oeuvres littéraires", animation pédagogique du 6 février 2008 de l'académie de Lyon.

Les exigences de la dictée sont en effet nombreuses, et par leur diversité même, tendent à la rendre impropre à une assimilation pure et pleine de l'orthographe. Il s'agit tout à la fois de découvrir de nouveaux mots, de tenir compte de la relation que ces mots entretiennent les uns avec les autres, de transcrire le son dicté, de tenir compte de l'étymologie, de tenir compte du contexte afin d'écrire le mot approprié plutôt que l'un de ses homonymes... Les principales erreurs relevées portent généralement sur la confusion de sons proches, l'oubli de lettres, de syllabes, dans la transcription d'un mot, de confusion sur la relation entre les mots (accords, confusion sur les catégories de mots). Ainsi, par la complexité dont elle est faite, la dictée peut être génératrice de stress, parfois intense, pour l'élève. A contrario du problème de mathématiques, la dictée ne fait pas appel au seul raisonnement logique ou déductif.

L’analyse du fonctionnement de l’orthographe met en évidence qu’aucun raisonnement ne permet de trouver la graphie de “théâtre”, par exemple, ou de “apéritif. (...) En matière d’orthographe, seule la familiarisation avec l’usage permet la certitude, et l’on peut dire que toute graphie erronée est une entrave à l’acquisition de l’usage”, si on n’a jamais vu ces mots ou si on les a oubliés", animation pédagogique du 6 février 2008 de l'académie de Lyon.

La physionomie des mots préside à l'orthographe. "En fin de compte, ce qui tranche, c’est la mémoire visuelle que l’on a ou non de l’image de ces mots. Donc, demander aux enfants de réfléchir pour écrire, c’est commettre une grave confusion, entre réfléchir et… se souvenir, lesquels sont en réalité le contraire l’un de l’autre. Quand il s’agit de se souvenir, aucune réflexion ne peut venir en aide à une mémoire défaillante. Pire, demander à un enfant de réfléchir pour trouver l’orthographe d’un mot, c’est le confirmer dans une représentation erronée du fonctionnement de l’orthographe : on sait, depuis les travaux, notamment d’E. Feirrero qu’un petit enfant pense que les mots doivent ressembler à ce qu’ils veulent dire ; si bien que sa réflexion va naturellement le conduire à imaginer l’orthographe en fonction de cette représentation. Et comme aucun raisonnement ne peut justifier les graphies en usage, la correction des erreurs orthographiques, même parfaitement menée, ne peut guère effacer l’empreinte d’une invention personnelle répondant à une logique, peut-être inadaptée, mais solide dans sa conception", souligne compte-rendu de l'animation pédagogique du 06/02/2008 de l'académie de Lyon.

Dictée préparée, dictée dirigée et auto-dictée

Aussi l'enseignement scolaire s'oriente-t-il, de plus en plus, vers une dictée préparée, plus avantageuse en terme d'acquisition de l'orthographe ; l'élève se voit remis à l'avance le texte de la dictée qu'il aura à faire, et a tout loisir d'en étudier les écueils pour mieux les contourner. Ici, l'apprentissage repose essentiellement sur sa mémoire visuelle. Il n'a pas à dégager de manière logique l'étymologie d'un mot, mais à le mémoriser et à comprendre comment il intervient dans le contexte de la phrase, bien que sur ce dernier point, cette méthode rencontre quelques limites, que vient balayer le système de la dictée dirigée. La dictée dirigée attire l'attention de l'élève, durant l'exercice, sur les difficultés orthographiques et grammaticales auxquelles il est confronté, au moment même où il lui est demandé de les résoudre, par le rappel des règles d'orthographe, de grammaire, de conjugaison pendant l'énoncé du texte. L'auto-dictée (mémorisation puis réécriture d'un texte), si elle a l'avantage de faire appel à la mémoire visuelle, qui présente de nombreux intérêts en terme d'apprentissage chez l'enfant, fait quant à elle l'impasse sur l'assimilation des règles d'orthographe, de grammaire, de conjugaison. En ce sens qu'elle repose uniquement sur la mémoire à court terme et la reproduction graphique. De nombreuses autres formes de dictée ont vu le jour, tour à tour louées puis décriées selon la pédagogie sur laquelle elles s'appuient, et il semble que les élèves de la dernière décennie aient fait, en ces termes, l'objet d'un certain nombre d'expérimentations propres à les fâcher définitivement avec le français écrit. Pour certains, l'exercice de la dictée apparaît comme un véritable cauchemar.
Pour Françoise Svel, enseignante à la retraite, "la dictée seule n'est qu'un moyen de contrôle régulier des acquisitions (ce qui n'est pas plus idiot qu'une évaluation des compétences...), mais pour moi l'intéressant c'est la correction de dictée, bref une mise en situation des règles et vocabulaire... appris, un truc qui permet de voir où on s'est trompé et surtout pourquoi ! C'est déjà beaucoup de savoir pourquoi, non ?"

Quant à la morale et au savoir être, je veux croire que c'est le rôle des parents, c'est déjà beaucoup si j'arrive à transmettre quelques connaissances qui permettront au gamin de ne pas trop être dupe...

La dictée, c'est une multitude de facteurs dans un seul outil pédagogique : découverte d'un auteur, d'un texte souvent de forte portée morale en vue de l'acquisition de la morale et des savoirs être, découverte du style, de la dimension poétique et de l'étude d'un texte, découverte des règles d'orthographe, mais aussi de grammaire, de conjugaison, etc. Alors, la dictée est-elle un exercice "trop" complet ? C'est la question que nous avons posé à Françoise Svel : "Alors là, si on parle "outil"... ça nous emmènerait bien loin ! Quant à la morale et au savoir être, je veux croire que c'est le rôle des parents, c'est déjà beaucoup si j'arrive à transmettre quelques connaissances qui permettront au gamin de ne pas trop être dupe... Les dictées à trous, elles ont vécu et fait assez de dégâts, pauvre gosse qu'on juge trop débile pour écrire une phrase... les dictées de mots, ben, ça peut pas faire de mal sauf que notre langue n'est pas faite que de mots sans rapport entre eux et pour finir je ne connais pas de savoir "unique", pas plus que de pensée "unique" ! Arrêtons de prendre les gosses (les gens ?) pour des c... (...) Oui, c'est (la dictée) un "outil complet", à l'enseignant de savoir ce qu'il peut demander à l'enfant... mais l'écriture et le langage aussi ce sont des trucs "complets", on les supprime alors ou on les apprivoise ?"
Françoise Svel a enseigné pendant 41 ans.

La dictée comme outil de découverte d'un texte, d'une idée

Outre la visée d'acquisition du français écrit qu'elle propose, la dictée est un vecteur, un support d'idées, et présente, sous cet angle, un autre aspect pédagogique, celui de l'acquisition de postures sociales (le "savoir vivre ensemble", les règles élémentaires de la morale(1)...). D'ailleurs, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les textes proposés comme dictées font essentiellement la promotion de la morale. Ils évoluent par la suite et sont choisis pour les difficultés qu'ils se proposent d'étudier. Le sens du texte intervient alors dans une moindre mesure. Les recueils de dictée qui sont alors publiés s'intéressent, par chapitres, à des points précis de la grammaire, et proposent des dictées de difficulté progressive. Cependant et s'il n'est plus "central", le sens du texte reste bien présent, et perdure encore aujourd'hui comme partie intégrante de la pédagogie de la dictée, notamment comme support de découverte de la "saveur" littéraire du texte écrit, et ce, depuis la fin du XIXe siècle. "Dans les années 1800, on voit la célèbre Isabelle de Gélieu, fille et femme de pasteur, rédiger un recueil de dictées à l’intention de ses enfants. Elles consistent en fragments d’un abrégé d’histoire qu’elle a composé à partir de la lecture de divers ouvrages : la dictée sert donc aussi de moyen d’apprentissage ou d’imprégnation de savoirs divers, fonction qu’elle n’a jamais cessé et ne cessera jamais d’exercer", nous apprend Pierre Caspard, dans sa publication L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles) : "En revanche, le surinvestissement politique dont la langue a été l’objet dans la France post-révolutionnaire, comme expression et instrument de l’unité nationale, a donné à la question de l’orthographe une importance qu’elle n’avait pas lieu d’avoir au même degré dans un pays fédéral et multilingue comme la Suisse. Même appliqué à des espaces culturels et linguistiques voisins, voire communs, le travail de périodisation des disciplines scolaires conduit ainsi à devoir les ancrer dans les contextes socio-économiques et politiques où elles ont spécifiquement pris naissance."

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Sources et ressources
Pierre Caspard, Service d’histoire de l’éducation (INRP-CNRS), Paris, L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles)
Animation pédagogique du 6 février 2008 de l'académie de Lyon, exploitation de la dictée
L'article : Profs de FLE : faites-vous des dictées ?, par Parapicot
L'article de M. Cabois, inspecteur du primaire, Dictée préparée : conférence et manuel

 

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