01 - Pédagogie de la dictée

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Pédagogie de la dictée

Exercice complet, la dictée permet de travailler à la fois la qualité de son écriture manuscrite (calligraphie, formation des lettres), sa syntaxe, et bien sûr, son orthographe. Mais pas seulement, elle habitue l'oreille à entendre le langage dans sa forme pure, parfois dans sa forme la plus soutenue lorsqu'ils s'agit de dictées d'un niveau avancé (nous avons tous en tête les dictées de Pivot), mais ouvre également à la découverte ou la redécouverte d'auteurs, de textes, classiques ou éminents, qui contribuent à notre édification personnelle.

La dictée s'affranchit en outre du caractère culturel ou spécifique à l'âge depuis qu'elle se pratique par tous les adultes étrangers désireux d'étudier la langue française, et est inter-générationnelle depuis qu'elle se réalise comme un challenge. Et nous en revenons donc à la fameuse dictée de Bernard Pivot, qui a eu l'heur de la sortir des rangs de l'école pour la porter sur le petit écran comme un concours que l'on fait en famille, un exercice auquel l'on se plie par goût de la langue, et non pour son caractère obligatoire ou les bons points que l'on pourra en tirer, popularisant ainsi un exercice qui, lorsqu'il était pratiqué par amour de la langue, était exclusif aux salons littéraires du XIXe siècle.

L’image de la dictée est si étroitement liée aujourd’hui à l’institution scolaire qu’on a peine à imaginer pour elle un autre cadre. On observe pourtant qu’au moins depuis le XVIIIe siècle, il n’était pas rare que cet exercice fût pratiqué en famille", Pierre Caspard, Service d’histoire de l’éducation (INRP-CNRS), Paris, L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles).

Car à la cour de Napoléon III, la dictée n'est pas tant un exercice laborieux qu'un passe temps. L'on en accroit la difficulté, la corse comme le café sans pour autant la rendre âpre ; elle n'est plus scolaire mais récréative. Elle s'émaille de pièges orthographiques et grammaticaux subtiles, fait par et pour les "initiés", qui maîtrisent les arcanes de la langue écrite. Elle s'appuie sur des règles empiriques, et met à jour des exceptions peu connues, des termes et manières oubliés.

Une dictée qui rassemble

La dictée est porteuse d'échange ! Parce que - sauf outil interactif dédié - il y a toujours celui qui la lit, patiemment, traîne un peu sur les mots présentant des difficultés particulières, qu'il détache mieux, articule à outrance. Et parce qu'il y a toujours celui qui s'y exerce, l'élève, l'enfant, l'adulte souhaitant améliorer son français, le grammairien amateur. L'on se tord parfois, à lire les fautes des autres, mais c'est toujours sans commisération, sans jugement tranché, sans âpreté ni médisance réelle. L'on trouve des "perles" de la dictée comme l'on trouve, depuis quelques décennies, les "perles" du baccalauréat. Soit un petit exercice de compilation de la part des enseignants "collés" à la surveillance des examens, qui trouvent dans la rédaction de ces petits florilèges de quoi se détendre après s'être évertués à "mettre à niveau" les élèves les plus réfractaires à toute notion d'orthographe. C'est qu'ils ont autant peiné à expliquer que "saint" et "sein", ce n'est pas la même chose, que l'étudiant auquel ils s'adressent s'est évertué à l'apprendre !

La dictée est porteuse d'échange. Parce que celui qui la lit, lorsqu'il n'est pas l'enseignant, est souvent le parent, le grand-parent, l'oncle et, en toute cause, le proche. La dictée faite à domicile a quelque chose d'intime, l'on ne consent à montrer les fautes que l'on fait qu'à ceux qui nous connaissent le mieux.

Avez-vous dit cacographie ?

A la fois ancêtre et variante de la dictée, la cacographie est un exercice plus ludique, mais offrant des résultats inférieurs en terme d'apprentissage. Il s'agit en effet d'un texte volontairement truffé de fautes que l'étudiant ou l'élève est invité à corriger. On l'utilise encore en cours mais de manière moins répandue qu'au XIXe siècle, où la cacographie était l'exercice le plus courant pour l'apprentissage de la langue écrite. Pourquoi la pédagogie de la dictée est-elle supérieure à celle de la cacographie ? Tout simplement parce que notre mémoire visuelle est excellente ! Nous retenons, de la manière la plus inconsciente qui soit, les mots que nous lisons. La cacographie, en nous donnant à lire des formes erronées, si elle nous propose des les corriger, nous incite aussi à les mémoriser et nous aurions donc tendance à les reproduire. La cacographie est également une forme de faute d'orthographe où l'on s'éloigne de la transcription correcte d'un terme, souvent une toponymie (nom de lieu - ville, village, lieu-dit), en ne tenant pas compte de son étymologie (origine de la formation d'un mot) parce qu'elle nous est inconnue. Elle provient, dans la majorité des cas, d'une transcription purement phonétique. Par exemple, la ville de Châlons, que l'on écrirait Chalon, serait une cacographie.

Outre l'exercice de grammaire et d'orthographe qu'elle propose, la cacographie est aussi un jeu de mots dans lequel il s'agit de truffer une suite de mots ou une phrase de fautes d'orthographe, ceci de la manière la plus amusante possible et donc, en s'appuyant sur la phonétique, afin de conférer à l'expression ou à la phrase un sens différent. Un exercice proche de l'allographe, jeu de mots consistant à écrire différemment les mots, en jouant sur leur lecture phonétique, de sorte que le texte transcrit sous forme d'allographe à une siginification différente de celle qu'on lui prête si on l'écoute sans le lire. Cocteau, Prévert, Queneau étaient réputés pour leurs allographes :

La rue meurt de la mer. Île faite en corps noirs, (Jean Cocteau).
Sceau d'hommes égaux morts seaux d'eau mégots morts, (Prévert.)
Existence devient aiguesistence pour les poissons, ogresistence pour les homards, ou eggsistence pour la vie en coquille, (Raymond Queneau)

D'autres allographes, souvent de caractère moins littéraire et d'une poétique plus populaire, s'articulent uniquement autour de suite de lettres, sauf à évoquer ceux de Mc Solaar :

L’NMIACCd’HTCK72KPDP =
L'ennemi a cessé d'acheter ses cassettes de cape et d'épée,
(chanson de MC Solaar)

Ainsi, nous ne vous donnerons pas la transcription de LHOQ, et en reviendront pudiquement à cette pédagogie de la dictée dont nous nous sommes écartés. Tout au plus concluerons-nous cette disgression en soulignant que l'allographe est la base du langage SMS : à 2 à l'R = à tout à l'heure, 10 moi 8 = dis-moi oui... De quoi réconcilier les parents avec les usages SMS de leurs chérubins, qui pratiquent, au quotidien, une forme de jeu de mots qui ne se jouait qu'au salon au siècle dernier, et entre intellectuels.

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Sources et ressources
Pierre Caspard, Service d’histoire de l’éducation (INRP-CNRS), Paris, L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles)
Animation pédagogique du 6 février 2008 de l'académie de Lyon, exploitation de la dictée
L'article : Profs de FLE : faites-vous des dictées ?, par Parapicot
L'article de M. Cabois, inspecteur du primaire, Dictée préparée : conférence et manuel

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