02 - Pédagogie de la dictée

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Pédagogie de la dictée

Chez l'adulte, la dictée a une force d'évocation particulière, et particulièrement forte

Chez l'adulte, la dictée a une force d'évocation particulière et particulièrement forte. Du souvenir du professeur qui prenait comme exemple les fautes de l'un, qu'il donnait ainsi en pâture à l'ensemble de la classe, à celui plus heureux de la découverte d'un texte, d'une note particulièrement bonne, la dictée est au français ce que le bon vieux "problème" de calcul - qui visait à déterminer, lorsqu'un robinet fuit à raison de 3 gouttes d'un centilitre chacune par minute, le temps qu'il faudrait pour remplir la moitié d'une baignoire de 40 litres - est aux mathématiques.

La dictée et le problème de mathématiques évoquent et résument à eux seuls ce que les bancs de l'école ont de plus heureux et de plus douloureux.

C'est à ma demande qu'un ami, enseignant en Algérie, a interrogé les élèves de sa classe (5e année de primaire), pour savoir comment ils apprécient la dictée. Parmi ces onze élèves, six d'entre eux confient qu'ils s'ennuie durant cet exercice, qu'ils n'aiment pas. A contrario, ils apprécient l'explication de texte, la lecture à haute voix et la découverte de nouveaux auteurs. Saufs amoureux précoces du verbe et de sa conjugaison, de la grammaire et de l'orthographe, nous sommes tous passés par là ; nous avons tous haïs cet exercice qui, nous demandant de décortiquer la phrase, le rapport logique d'un mot à l'autre, semblait nous éloigner quelque peu du sens du texte et de son expression alors que nous n'en avions jamais été si près. La grammaire est dépendante du sens ; c'est la matière primaire, la glaise, d'où la poésie jaillit.
Mohamed Elmansy est l'un des meilleurs enseignants de Français en Egypte, où le Français est enseigné en 2nde langue aux jeunes. Le français s'y apprend à partir de 15-17 ans (cycle secondaire) : "la dictée, c'etait un veritable cauchemar, il y a beaucoup d'homonymes, des mots semblables qui se différencient en une ou deux lettres et parfois en accent, ce qui donne un certain pessimisme ; l'on pense qu'on n'arrivera jamais à se perfectionner dans cette langue. (...) Je trouve tant de difficultés avec mes élèves qui apprennent le français à cause de l'orthographe des mots qui est tout a fait differente de la prononciation."

Autant la dictée est récente dans l'histoire de l'enseignement, récente que l'est l'apprentissage de l'orthographe au primaire (XIXe siècle), autant elle a été et est toujours largement employée. L'on trouve même aujourd'hui nombre de sites internet permettant de se prêter à l'exercice de manière interactive. C'est avec l'enseignement de l'orthographe qu'une grammaire spécifique, la "grammaire scolaire", fait son apparition, qui vient figer l'orthographe, auparavant vive et mouvant au gré des régions, des modes, des techniques. La dictée, elle même assimilée à un "rite sacré", est venue glorifier l'écriture, en déterminer la forme, et créer dans notre société deux catégories qui, si elles ne sont pas consciemment identifiées, n'en demeurent pas moins fortes dans la suggestion qu'elles opèrent : il y a ceux qui maîtrisent l'orthographe, et que l'on assimile un peu vite à des intellectuels, à une "classe pensante" cependant que l'on admet bien que la maîtrise de l'écrit n'est pas l'intelligence, et ceux "qui ne savent pas". Autrement dit, ceux qui ne maîtrisent pas l'orthographe et qui sont suspectés de l'absence du savoir le plus élémentaire, et ce faisant, d'un certain barbarisme de pensée. On les soupçonne, sans l'énoncer ouvertement, de manquer de finesse, d'incapacité à toute rhétorique et à toute dialectique. S'ils ne maîtrisent pas l'écrit, c'est qu'ils ne maîtrisent pas les mots. L'on reconnaît cependant que l'écrit ce n'est pas les mots mais leur transcription, mais l'on ne parvient pas à se contenter d'une simple "culture orale". L'on en vient bien trop vite, et souvent abruptement, à l'idée que celui qui écrit "mal" est celui qui n'écrit pas. Or je connais bon nombre d'amoureux de l'écriture, de lecteurs invétérés, qui présentent des difficultés en orthographe, et à vrai dire, s'en contre-foutent. Ils maîtrisent la syntaxe et le jeu du raisonnement, souvent de manière brillante, et ont dépassé les subtilités de la langue pour se concentrer sur celles de la pensée. La forme ne leur importe pas tant que le fond ; pour eux, une bonne dictée ne vaut pas une bonne dissertation.

Napoléon III a fait 75 fautes à une dictée

Nombre de personnalités éminentes, parfois écrivains, à l'instar de Dantec, auteur de plusieurs best-sellers, sont définitivement "fâchées" avec l'orthographe. D'ailleurs, Napoléon III, dont la cour s'amusait à des dictées recélant des subtilités piégeuses, faisait soixante-quinze fautes à l'une de ces dictées, certes truffée d'embûches, mais comportant quatre à cinq paragraphes seulement, que lui proposait Mallarmée. A la même dictée, Metternich fils, ambassadeur d'Autriche, n'en commit que trois, faisant ainsi montre d'une érudition particulière pour ce qui est de la langue écrite. Le premier, Napoléon, a laissé dans l'histoire sa marque indélébile, le second, Metternich fils, s'en est fait oublié. Si elle ne sacralise pas celui qui y réussit le mieux, la dictée cependant entretient quelque lien avec le sacré.

Elle a pu être décrite comme une sorte de rite sacré, l’instituteur dictant apparaissant comme le grand-prêtre d’une religion d’Etat : la langue de la Patrie, ou français national, dont l’orthographe devait susciter, jusque dans son arbitraire et ses bizarreries, une révérence absolue", Pierre Caspard, Service d’histoire de l’éducation (INRP-CNRS), Paris, L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles).

Si la dictée, pas plus que le problème de calcul, n'est formatrice ni fondatrice des grandes personnalités de ce monde, pourquoi accorde donc tant de "crédit littéraire" a celui qui a "réussi sa dictée" ? Faut-il remettre en cause la pédagogie de la dictée ?

Faut-il remettre en cause la pédagogie de la dictée ?

Il n'y a rien qui, isolément, ne soit structurant d'une personnalité instruite, intelligente, singulière par les voies qu'elle viendra défricher, par l'impact qu'elle aura sur le monde. C'est un jeu d'expériences, de curiosité, un tempérament en soi, qui s'épanouit à force d'être bien orienté et bien exercé aux problèmes de ce monde, ô combien plus prenant qu'un simple problème de calcul, d'orthographe, de grammaire. Il y a celui qui apprend sur les bancs de l'école, et celui qui apprend tout court, ou plutôt tout long dirait-on, c'est à dire tout du long de sa vie, de toute la longueur, l'amplitude de son esprit et qui, ce faisant, lui donne plus d'amplitude encore, d'envergure, de perspective. Autrement dit, si la dictée est, dans certains cas, quasi-suffisante (non tenons au préfixe "quasi") à forger une orthographe satisfaisante, elle est, bien entendu, insuffisante à offrir un apprentissage complet, et en allant plus loin, dictées, problèmes de calcul et cours magistraux sont insuffisants à forger l'être. Notons qu'il en va de même des livres. Car il appartient à chacun d'aller "par-delà". Par-delà cet enseignement formel offert par l'éducation nationale et par ses professeurs, et même par-delà l'enseignement de l'ascendant. En langage écrit comme en toute chose, il faut tailler sa propre route. Le grammairien, d'ailleurs, taille parfois sa propre grammaire en ce sens qu'il apporte une nouvelle approche, je pense ici particulièrement à Quignard, qui trouvait des formules merveilleuses pour alléger ses phrases comme le mathématicien trouve une formule pour en synthétiser et en alléger mille autres.

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Sources et ressources
Pierre Caspard, Service d’histoire de l’éducation (INRP-CNRS), Paris, L'Orthographe et la dictée : problèmes de périodisation d'un apprentissage (XVIIe-XIXe siècles)
Animation pédagogique du 6 février 2008 de l'académie de Lyon, exploitation de la dictée
L'article : Profs de FLE : faites-vous des dictées ?, par Parapicot
L'article de M. Cabois, inspecteur du primaire, Dictée préparée : conférence et manuel

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