Intelligence précoce

A l'heure où il ne fait pas bon être trop bon

Le système éducatif se concentre sur l'échec scolaire, s'intéressant en priorité aux élèves ayant des difficultés d'apprentissage, de concentration, un écart important de niveau. Super-accompagné, super-sollicité, l'élève en difficulté est au centre de toutes les attentions. A contrario, celui qui assimile plus vite, fait preuve de facilité dans une, plusieurs ou l'ensemble des matière abordées, est regardé comme un animal étrange, par ses camarades, mais aussi parfois, trop souvent, par le corps enseignant lui même.

A l'ère où il ne fait pas bon être trop bon, celui qui réussit est, au pire, le bolosse pour ses camarades, et au mieux, le zèbre, l'APIE (atypique personne dans l'intelligence et l'émotion⁽¹⁾) pour le corps enseignant, voire pour son entourage familial. Bolosse, zèbre, surefficient, APIE, EIP (enfant intellectuellement précoce), mangé à toutes les sauces, étiqueté, "siglé", l'enfant surdoué, doué ou précoce est définit par l'autre avant de se définir lui-même.

Mangé à toutes les sauces, étiqueté, "siglé", l'enfant surdoué, doué ou précoce est défini par l'autre avant de se définir lui-même.

Référencé alors même que les nuances entre précocité, douance, surdouance, facilité, virtuosité sont floues, il lui est difficile de s'apparenter de son propre-chef à l'une ou l'autre de ces catégories, fortement connotées mais restant à définir avec précision. S'il a conscience d'être un individu "à part", encore ne sait-il pas de quelle part il s'agit. Quoi qu'il en soit nombre des appellations dont ils fait l'objet demeurent, sinon froide et clinique, souvent péjoratives. Derrière le bolosse il y a le maigrelet à lunettes, introverti, au vocabulaire d'adulte et aux gestes maladroits d'enfant que la nature s'est attachée à doter de manière partiale : tout dans les neurones, rien dans les bras. C'est ainsi qu'on se plaît à l'imaginer, maladif et brillant, studieux et fragile... le poussant à renforcer par là-même des caractéristiques qui ont tout de la caricature ; l'enfonce-t-on dans le cliché qu'il s'enfonce dans les livres, lui prête-t-on de piètres qualités sportives qu'il se détourne du sport, s'attache-t-on à pointer la fragilité de son relationnel qu'il coupe les ponts, rompts les amarres. Le raille-t-on que son attitude finira, par suggestion, à inciter ses camarades à le railler plus encore. "Eh bolosse, t'as perdu tes lunettes !", la cruauté même de l'enfance à l'encontre de l'enfance ne cesse d'étonner les adultes. Ils ne sont pourtant pas en reste.
La tendance n'est pas nouvelle, mais fortement nuancée, auparavant c'était le "chouchou", ce qui supposait qu'il était particulièrement apprécié de ses professeurs. L'appellation-même de "bolosse", qui a supplanté celle de "chouchou", suppose qu'il ne bénéficie plus de la protection des adultes, enseignants, encadrants.

Un tiers des enfants précoces seraient en grande souffrance scolaire

Car l'enfant n'est pas préparé à affronter des détracteurs dont les attaques sont aussi subtiles qu'avilissantes. Des attaques que les adultes s'efforcent rarement de court-circuiter sous couvert qu'il s'agit de jeux d'enfants. De quoi conférer un caractère ludique à ce qui non seulement ne l'est pas, mais peut avoir des répercussions dramatiques sur le devenir du précoce, sur la manière dont il élaborera son relationnel. Alors même que la précocité s'entoure déjà d'un caractère excluant, voilà de quoi accentuer encore le phénomène de repli souvent attaché à l'enfant intellectuellement doué.

Deux personnes sur cent sont surdouées, 1% ont un QI de cent quarante-cinq, un pour trente mille ont un QI supérieur à cent soixante

S'il n'est pas prêt à intégrer que dans un certain contexte, les brimades peuvent s'associer à la réussite, qu'intelligence rime  parfois avec souffrance, prédispositions avec incompréhensions, virtuosité avec isolement. Car il y a tout un décalage avec les autres élèves, dont les activités mais aussi, souvent, les formes d'expressions, la posture scolaires, sont aux antipodes des siennes. Dans le pire des cas, l'enfant est insulté, harcelé, menacé parfois physiquement par les autres élèves, à l'instar de Julien, 13 ans, 146 de Qi, dont la mère, Bénédicte, témoigne pour Libération des 7 ans de calvaire qu'il a vécu.
Car le surdoué ne réfléchit pas forcément mieux, il réfléchit surtout différemment, en empruntant d'autres modes de raisonnement, et avec une approche très éloignée de celle de ses camarades. C'est principalement sont mode de pensée particulier, la curiosité insatiable dont il fait montre, qui en font un "zèbre".

(1) Terme défini par Jean-François Laurent

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